Étouffant un hurlement, Gemma se jeta à terre, ses mains crispées autour de son crâne. Sa baguette roula à quelques mètres d'elle. Doucement, presque timidement, elle releva son visage candide et constata l'ampleur des dégâts. Poudlard n'était rien de plus qu'un tas de pierres en devenir ; le souffle haletant, la jeune fille rampa sur le sol crasseux, tendit le bras et fit glisser sa baguette entre ses doigts tremblants. Elle se redressa et, les jambes flageolantes, continua sa quête. Elle dévala les escaliers, courut jusqu'à la Grande Salle. La jambe droite raidie, elle tomba à genoux dès qu'elle passa les doubles-portes, provoquant quelques exclamations de la part des autres révolutionnaires – il était rare que les blessés se rendent d'eux-mêmes entre les bons soins des infirmiers éphémères. La crinière brune de l'une de ses amies apparut dans son champ de vision et, braillant des obscénités à qui voulait bien la soutenir, elle se traîna jusqu'au corps fiévreux d'Annie. Gemma posa sa main sur l'une de ses joues, caressant sa pommette rougie en un geste quasiment maternel. « An-Annie ? » balbutia-t-elle. L'interpellée entrouvrit les paupières, esquissa un sourire forcé
« Je ne t'attendais plus depuis longtemps » Annie ne fit même pas l'effort de se redresser, ses boucles brunes formant une auréole presque divine autour de son visage pâle
« Annie, tu..tu sais où est Alec ? » l'air hagard, elle ne répondit pas, son souffle s'amenuisant alors que la bataille prenait davantage d'ampleur.
Elle va mourir. A moitié-couchée sur sa comparse, ses doigts se glissèrent autour de ses épaules frêles, la forçant à se redresser. Annie poussa un cri de souffrance. A l'instar d'une mère aimante, Gemma se plaça derrière Annie, l'appelant à poser l'arrière de son crâne contre sa poitrine suffocante. Ce tableau tragique rappelait une femme éplorée et son enfant. L'entourant de ses bras, la blonde berçait son amie.
« Tu pleures ? » « Non. » la voix brisée de Gemma indiquait totalement le contraire de ce qu'elle voulait faire passer comme message.
« Arr-arrête de chialer » la respiration d'Annie devint sifflante puis inaudible.
« Arrête de chialer et dégage d'ici, va-va retrouver Alec et-et, oh non, Gemma, non – je ne-je ne veux pas m-mourir » ses lèvres se teintèrent de sang, une goutte carmin roulant le long de son menton
« G-Gemma » elle renversa sa tête en arrière, considéra un instant le visage tuméfié, incrédule, de son amie. Et elle sourit. Dans ses yeux, l'éclat qui les habitait s'éteignit. Poussant un hurlement d'horreur, Gemma posa ses lèvres contre la tête de son amie, seule barrière qui parvenait à étouffer ses pleurs.
Elle courrait. Les sortilèges continuaient à fuser tout autour d'elle mais Gemma n'en avait cure - le visage d'Annie, marqué par un ultime sourire, la faisait sangloter. Dès que son pied douloureux se posait sur le sol, elle avait l'impression que sa jambe menaçait de se dérober. Retrouver Alec, retrouver Alec. Cette idée, presque chantante, l'obsédait. Les larmes humidifiaient ses joues et mourraient à la commissure de ses lèvres fendillées. Un nouveau cri passa ses lèvres lorsque quelqu'un la poussa sur le sol, lui évitant de justesse d'être la cible d'un Avada. Elle tomba à genoux, serrant les mâchoires afin de retenir le moindre sursaut de sa part. Elle releva les yeux et le vit. Alec. La vague de soulagement laissa finalement place à une colère presque meurtrière. Car telle était leur relation ; ils s'appréciaient, oh non – en ce qui concernait Gemma, elle faisait bien plus que de simplement l'apprécier, mais il s'agissait d'un jeu entre eux. Toutes ces disputes, ces chamailleries – ces querelles qui visaient à savoir qui avait marqué le but gagnant lors du dernier match entre Poufsouffle et Serdaigle (le joueur de Serdaigle évidemment).
« Espèce de...de..pauvre troll ! » s'égosilla-t-elle en se redressant. Les yeux écarquillés, Alec semblait se demander quel genre de monstre il avait bien fini par réveiller. Il arqua un sourcil.
« Enfin, Gemma, tu crois vraiment que c'est le moment ? » Il lui attrapa la main, l'attira à lui. Dans un élan de béatitude, elle avait pensé qu'il l'embrasserait mais... non. Le moment venait visiblement de passer. Il se détourna d'elle et entama une course effrénée, tirant Gemma à sa suite.
Finalement, la Bataille de Poudlard ne mit pas fin à ses jours, ni à ceux d'Alec Whittaker. Elle parvint même à lui voler un baiser alors qu'il s'apprêtait à rejoindre de nouveau le champ de bataille, la forçant à s'installer dans la Grande Salle en compagnie des autres blessés. Elle aurait voulu rester avec elle - mais pas parce que sa libido lui faisait visiblement défaut. De là où elle était, elle pouvait voir le corps d'Annie. Et, d'entre tous, c'était celui-là qui semblait la fixer. Lui sourire.
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« Je suis enceinte. » Les mâchoires serrées, Gemma contemplait le liquide ambré qu'elle faisait remuer dans son verre. Elle en avala le contenu en quelques secondes, déposant violemment son récipient translucide sur la petite table basse. Son mari la toisait sans mot dire. Il se rapprocha d'elle, posa un genou à terre, prit l'une de ses mains entre les siennes. Ce n'était pas prévu, voulait-elle dire mais, la gorge nouée, aucun son ne parvenait à passer la barrière de ses lèvres closes. Elle avait toujours pensé qu'elle était incapable d'avoir un enfant, c'était pour cela que ses parents (dont l'objectif avait toujours été de purifier leur lignée) n'avaient pas rechigné face à son mariage avec un né-moldu. Oh, bon nombre de critiques l'avaient heurtée et, s'ils l'avaient pu, ils auraient préféré marier leur fille à un autre sorcier et ce, même si elle n'était pas capable de leur donner le moindre héritier. Gemma Whittaker, née Rosenberg, était stérile et ce n'était pas un secret dont elle se cachait. La fibre maternelle ? Foutaises. Porter un enfant, le voir grandir, l'élever – un travail dont elle était heureuse de se passer. Il n'y avait plus qu'elle. Elle et Alec. Désormais, ils étaient sur le point d'être trois. Fébrile, elle posa sa paume libre sur son ventre encore plat.
« Je, je suis pas prête » elle posa ses doigts tremblants sur ses lèvres à présent entrouvertes
« J'ai peur, je sais pas comment m'y prendre avec les enfants, imagine s'il ne m'aime pas ou si » Interrompue par un baiser, Alec s'était redressé et étreignait désormais ses lèvres. Posant sa main sur la joue de poupon de sa femme, son pouce caressait sa pommette humide. D'habitude, rares étaient les fois où ils ne se chamaillaient pas – c'était un jeu qui perdurait depuis Poudlard et un tel silence était inhabituel. Leurs lèvres se quittèrent enfin et Alec posa son front contre celui de Gemma.
« Si je te dis que tout ira très bien, est-ce que tu feras l'effort de me croire ? » Réprimant un sanglot, la jeune femme enlaça le cou de son époux, l'attirant contre elle alors qu'elle était encore assise dans le fauteuil. Il s'effondra sur elle, se laissant faire. Elle s'accrochait à chaque parcelle de peau, à chaque morceau de tissu. Elle enfouit son visage larmoyant dans le creux de son cou.
« Je peux toujours essayer. » Étouffant un rire, Alec se glissa à ses côtés, sur le flanc pour ne pas l'écraser. Ses lèvres glissèrent le long de son oreille tandis que sa main rejoignait celle de Gemma qui reposait sur son ventre.
« Tes parents seront ravis d'apprendre la nouvelle. » Gemma poussa un soupir exagéré, plissa ses paupières et toisa son époux de son regard incandescent. A croire qu'il lisait dans ses pensées – elle ne pouvait pas ignorer l'ironie que dégageaient ses propos, ni même cette sorte d'amusement qu'elle pouvait lire dans ses prunelles. Décidant de ne pas souffler mot, se réservant de la moindre remarque, la jeune femme posa sa joue contre l'épaule d'Alec. Ses parents avaient consenti à ce mariage – mais l'arrivée d'un enfant changeait le résultat de cette union fortuite. Encore ébranlée par l'annonce de sa grossesse, Gemma se mordit la lèvre inférieure, toujours aussi sérieuse. Elle connaissait ses géniteurs mieux qu'Alec lui-même et elle ne voulait pas prendre le risque de ne pas prendre au sérieux leurs idéaux ségrégationnistes.
« Ne te moque pas d'eux. » siffla-t-elle finalement, incapable de mettre le moindre mot sur son ressenti. Mais cette sensation désagréable, qui n'était sûrement pas du fait de l'enfant à venir, résidait dans son estomac et ne la quitterait sûrement pas de sitôt. Au final, Gemma se sentant perdante – l'arrivée d'un enfant, d'un bébé qu'elle aurait sûrement peur de lâcher, bouleversait tous ses plans. S'étant faite à l'idée qu'elle n'aurait jamais d'autres bouches à nourrir que la sienne et celle de son époux, la jeune femme considérait la situation sous un jour nouveau. L'aurore d'une nouvelle vie.
Et si je ne l'aimais pas ? Les yeux exorbités, Gemma voyait se jouer sous ses yeux une scène dont elle ne parvenait pas à capturer l'essence ; était-ce son destin ou bien un fantasme particulièrement horrifique ? Elle avait entendu dire, non – au contraire – elle savait, que certaines personnes ne parvenaient pas à aimer ces petits êtres qui assuraient pourtant leur descendance. Non, elle n'était pas prête – ô non, loin de là.
En réalité, quelques mois plus tard, alors qu'elle tremblait encore sous l'effort qu'elle avait fourni et que la sueur faisait coller ses mèches blondes à son front - elle l'avait
su. C'était une évidence. Comment pouvait-elle ne pas aimer son enfant, sa petite fille, aux grands yeux sombres ? Tout était réel. Cette douleur lancinante qui lui tordait les entrailles, les larmes qui roulaient le long de ses joues, les pleurs déchirants de Vera. C'est réel, réel, réel - oh
Merlin, pensa-t-elle. Si ses doutes et ses peurs les plus intimes n'étaient rien de plus que d’écœurantes chimères, qu'en était-il de ses peurs véritables ? Celles qu'elle pouvait apercevoir en se rendant au manoir des Rosenberg, lorsque ses parents la toisaient de haut en bas, glissant qu'elle ressemblait de plus en plus à son
sang-de-bourbe de mari.
Oui,
qu'en était-il ?
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« Tu as fait quoi ? » Gemma se raidit.
« Je lui ai dit d'aller habiter chez mes parents. » Elle baissa les yeux quelques secondes, les releva. Elle esquissa un pas vers Alec mais celui-ci, d'un simple mouvement de la main, l'interrompit dans son ascension. Pour la première fois depuis bien longtemps, elle perçut une colère froide dans son regard clair. Aussitôt, Gemma se sentit coupable. Offrir Vera sur un plateau d'argent était loin – bien loin – de ce qu'elle voulait faire. Mais les menaces de ses parents taquinaient encore ses oreilles discrètes.
Si tu ne veux pas que ta fille épouse un homme de bonne famille, peut-être qu'on devrait se débarrasser d'elle et de son sale sang-de-bourbe de père. Vera Whittaker n'était rien de plus qu'un bon moyen de purifier la lignée des Rosenberg – ses préférences, ses amourettes adolescentes, ses grands-parents n'en avaient cure.
« Alec, si tu pouvais juste » elle se mordit la lèvre, retenant ses larmes
« écoute-moi simplement. » elle se tordit les mains, clairement gênée par la situation qu'elle avait provoquée, bien décidée à ne pas évoquer les menaces claires de ses propres parents. Elle savait que cela ne tarderait pas à briser son couple, chose qu'elle ne pouvait pas supporter.
« Mes parents peuvent lui offrir quelque chose de...oh par Merlin, Alec, tu es un né-moldu ! Où penses-tu qu'elle ira avec ça ? » demanda-t-elle alors très froidement, se cachant derrière un mur de glace et de reproches contenus. De son statut de sang, elle n'en avait cure mais rien ne pouvait l'arrêter.
« Mes parents peuvent lui offrir un beau mariage, une bonne situation. » ajouta-t-elle en désespoir de cause. Alec, de marbre, posa seulement une question
« Sous-entendrais-tu que nous n'avons pas eu un beau mariage ? » avant de prendre congé. Raide, Gemma tendit sa main, saisit son verre, avala son whisky. Cela ne fut toutefois pas assez puissant pour refréner ses larmes. La décision de Gemma, ou du moins son ardeur à pousser Vera entre les griffes des Rosenberg, eut finalement raison de son mariage. Oh, les Whittaker n'étaient pas séparés mais ils n'en étaient sûrement pas loin. Les vieilles querelles refaisaient surface – celles à propos des équipes de Quidditch à Poudlard, par exemple – et souvent, Alec dormait sur le canapé plutôt qu'en compagnie de sa femme. Gemma aurait pu regretter ses gestes mais non, rien ne semblait susceptible de la faire se rétracter. Même si ça lui brisait le cœur, elle préférait qu'Alec ne l'aime plus plutôt qu'il se fasse tuer – elle n'y survivrait sûrement pas.