« To look into the mirror is to see the future, in blood and rubies. » - Gregory Maguire.
Le reflet dans le miroir, la blondeur et les yeux clairs. Le reflet de ce corps qui ne semble pas être le tien. Tu t’observes avec une sorte d’inquiétude, quelques bleus par-ci par-là sur ta peau de porcelaine. Tu t’observes en t’interrogeant sur ce qu’ils penseront de toi, là-bas. «
Pourquoi devrais-je aller à Poudlard.. ? » demandais-tu à cette image qui t’apparaissait comme étrangère. Si seulement la surface réfléchissante pouvait te répondre. Tu pensais passer ta vie auprès d’Heath, qu’il te protègerait toujours. Seulement tu étais anglaise, tu étais née à Londres, à l’hôpital Sainte Mangouste lors d’un voyage pour affaires. Tu passais des semaines auprès de cousins quand la situation devenait critique, quand la violence poussait ta mère et ton grand-père à t’éloigner de ce massacre à venir. Tu étais une enfant étrange au don incontrôlable, qu’on ne voulait pas à la maison, dont on craignait les réactions. «
Crois-tu qu’ils m’accepteront ? » Le serpent aux écailles d’un blanc immaculé te fixait avec une attention véritable ; il était comme une part de toi, comme le Jiminy Cricket version sorcier. Tu irais à Poudlard, comme certains membres de ton ancestrale lignée, tu étais inscrite sur le registre depuis presque aussi longtemps que tu vivais et cela faisait, silencieusement, le bonheur de ta mère.
«
Fabala, il est l’heure. » Tu te tournes. Du haut de tes onze ans, tu es toujours si intimidée par ton grand-père, cet homme qui semble fier de toi sans que tu ne saches vraiment pourquoi. Tu sais que tu as ravivé le souvenir d’un don pensé perdu ou seulement attribué à une branche éloignée. Tu sais que tu as quelque chose de particulier qui vous effraie tous, sauf lui. «
Ne t’en fais pas, Poudlard est une école plus prestigieuse encore que l’Institut de Salem. » Tu penches la tête. Comment peut-il lire ta peur ? L’animal glisse le long de ta jambe, vient se loger autour de tes épaules, protecteur. Ton frère et toi étiez des enfants battus à plusieurs degrés, maltraités aussi bien physiquement que psychologiquement. «
Tu ne dois pas avoir honte de ce que tu es. » Non, tu ne le devais pas, mais comment faire autrement ? Tu sais ce que l’on dit de ces sorciers capable de parler aux serpents. Tu détaches Lucifer de ton col, le reposant à terre. Tu n’as jamais été très bavarde, tu as toujours été une fillette effacée. Tu vivais dans l’ombre agréable d’Heath, fille destinée à l’oubli. Il y avait un héritier, il ne resterait qu’à te marier. Mais pour l’heure, les merveilles anglaises t’attendaient. Tu quittais San Francisco pour retourner auprès de ceux qui n’avaient pas quitté la Grande-Bretagne et ses trésors.
«
Bois d’Aubépine, Crin de Sombral, 26,6 centimètres. » Tu la prends, tes doigts glissant sur la surface sombre avec délicatesse. Elle a la teinte obscure, tu l’aimes déjà. Et elle t’a choisie sitôt le geste accompli. «
Les baguettes telles que celle-ci sont complexes, aussi complexes que vous, miss Selwyn. Elles ne choisissent pas n’importe quel sorcier. Nul doute que vous cachez bien des secrets. » Tu déglutis difficilement. Le Chemin de Traverse mettait déjà en péril ton choix de mutisme au sujet de ton don, ton aptitude considérée comme noire, maléfique. Et tes premiers pas dans l’enceinte de l’école de sorcellerie se font sans la moindre assurance ; tu as un léger accent américain que tu t’efforces déjà d’effacer aux peu de personnes auxquelles tu consens à adresser la parole. On peut te trouver snob, avec ta manière de ne rien dire, tes regards en biais, mais tu n’es qu’intimidée. «
Elphaba Selwyn. » Ton souffle se coupe. Tu montes les marches jusqu’au tabouret sur lequel tu te poses presque à contrecoeur. «
Quelle surprise, une Selwyn ! » N’est-il pas ? Le vieil artefact lit en toi comme dans un livre ouvert et tu as horreur de cette sensation d’être espionnée jusque dans tes retranchements, tes contradictions. «
Le sens de la justice, la détermination.. mh. La ruse aussi, la curiosité. Tu veux le savoir, connaître et maîtriser avant tout. Ce pourrait être la maison de Salazar Serpentard.. toutefois, oui. Serdaigle te guidera avec sagesse ! » Tu serais donc bleue et bronze. Tu serais donc l’aigle bercée par la mélodie du serpent.
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« Well, the family always was bright, and brightness, as you know, decays brilliantly. »
- Gregory Maguire.
«
Ne me touche pas. » Tu te tiens droite face à lui, face à ce père que tu détestes du plus profond de ton âme. Tu as été forcée de retourner à San Francisco pour les vacances et tu restes amère, profondément amère. A Poudlard, ton secret a été dévoilée parce que tu as été crédule, une fois, une unique fois. Et tu es changée, depuis. Tu sembles avoir pris de l’assurance, du haut de tes seize ans, et ton regard autrefois baissé se plante avec froideur dans celui de ton géniteur. «
Ecarte-toi ou je te tue, papa. » Heath n’est pas encore rentré, il n’est pas là pour te défendre mais tu n’es plus une enfant, tu as appris. «
Les serpents te contrôlent, tu n’es pas assez forte. » Et le sourire presque mauvais sur ta bouche de poupée s’étire. Tu es tentée de siffler habilement pour lui prouver qu’il fait une monstrueuse erreur, qu’il se trompe à ton sujet. La porte du salon s’ouvre sur ta mère baignée de tristesse. «
Bonjour, maman. » lui dis-tu, gardant ce port altier, cette attitude digne qui fait désormais partie intégrante de ce que tu es. La petite Selwyn est partie, laissant place à cette blonde déterminée qui leur semble brusquement étrangère, à tous les deux. Tu ne reverras plus les contrées américaines que pour une occasion, pour un enterrement. Et de Poudlard tu sortiras aussi anglaise que les natifs, parce que tes choix guidèrent le reste de tes pas.
«
Fabala.. il le tuera si tu ne fais rien. » Tu lèves les yeux de tes parchemins. Tu devrais être triste, tu devrais exprimer un tant soit peu d’émotions, douleur ou même joie. Mais rien ne se lit sur les traits de ton visage indifférent à ce monde qui l’entoure. «
Je suis enceinte. » trouves-tu simplement à rétorquer, comme pour équilibrer la conversation. Certaines conventions t’échappent, tu n’as pas été élevée dans la douceur et l’amour, tu as vite compris qu’exister consistait à se battre, à faire survivre une lignée. La lueur dans le vieux regard de ton grand-père s’allume d’une sorte de bonheur que tu ne parais pas intégrer. «
Qui est le père ? » «
Ca ne te regarde pas. » Tu te fais distante. Ton ventre n’a rien de rond et ta taille fine, marquée par le tailleur élégant, laisse bien des hommes rêveurs. Tu es surtout une énigme, un défis parfois. Qui parviendra à se taper la glaciale et frigide Selwyn ? A dire vrai, tu n’as rien de frigide et si tu ne saisis pas l’utilité des sentiments d’affection ou d’attachement, tu connais l’art du plaisir et de la séduction. Une séduction à ta manière, de sarcasme, d’humour noir et de devinettes. Tu es capable de changer du tout au tout selon à qui tu as affaires. Pour être honnête, tu es une brillante comédienne, laissant penser au monde ce qu’il veut, laissant planer le doute sur tes intentions et ta véritable loyauté.
«
Il faut te marier, Elphaba. Cela va commencer à se voir et.. » «
Tais-toi. Je me fiche de votre honneur, de vos traditions et de vos manies. Je n’ai jamais fait votre fierté et je ne sacrifierai pas mon avenir pour vos craintes. » Ils se sont déplacés dans le manoir que t’a cédé la patriarche de la lignée, le vieil homme veillant sur ta santé. L’endroit est prestigieux, t’offre le confort et la place pour ton étude approfondie des créatures les plus rares et dangereuses crées ou non de la main d’un sorcier. Tu n’as étrangement pas peur d’affronter la mort, c’est une des rares choses qui te rappellent que tu es vivante. Le coeur en morceaux et l’âme en peine, tu panses les plaies intérieures avec la glace de ton attitude. «
Ne m’approche pas, papa. N’essaye même pas, au risque que la communauté sorcière toute entière sache combien tu es un être abjecte et indigne du sang qui coule dans tes veines. » Tu n’as aucune pitié, on ne t’a pas enseigné la pitié, de toutes manières. «
Ce bâtard impur n’en est pas plus digne. » crache-t-il avec colère. Tu ne répondras pas. Tu refuses de dévoiler le nom du père, quitte à y laisser quelques plumes de dignité.
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« This is why you shouldn't fall in love, it blinds you. Love is wicked distraction. »
- Gregory Maguire.
« Azaël,
Je n’ai jamais été douée avec la tendresse. Avec les mots, oui, mais pas avec la douceur, la compassion. Si tu lis ces quelques lignes, c’est sans doute que je suis morte. J’ignore ce qu’ils t’auront dit, ce qu’ils prétendront. Si j’ai opté pour l’Ordre, ça n’est pas par pur esprit de vengeance mais pour ton bien, pour que le monde t’ayant vu naître disparaisse, qu’un nouvel univers s’offre à toi, plein d’opportunités et de paix. Je ne renie pas la supériorité de ce sang que l’on m’a enseigné, je suppose que tu as hérité de cette vision des choses, j’estime simplement qu’il faut de la diversité pour que continue à prospérer à la fois la magie et quelques uns des privilèges qui sont accordés aux lignées prestigieuses. Les nés-moldus n’ont pas choisi, ils sont victimes du destin frappeur, malin, souvent cruel. Et les sang-mêlés sont la faute de leurs parents, ce sont eux qu’il faut blâmer, pas la descendance.
Sache que les rumeurs ne sont pas toujours fondées sur des vérités. Je ne suis pas une traitre, j’ai simplement décidé de prendre notre existence en main. Si je n’ai jamais affirmé haut et fort défendre les idéaux de l’Ordre, sans doute un peu trop optimistes, ou nié officiellement soutenir les Mangemorts, ça n’est que par amour de ces silences, de ces mystères, que j’ai toujours cultivé. Être fourchelangue a fait de moi une femme mauvaise avant même l’heure des décisions durables.
La société juge trop vite, Azaël. Ne fais pas cette erreur. »
Brouillon d'une lettre d'Elphaba à son fils, en prévention.