Adonis n’aurait pas envie de raconter comment il est né. Ni comment il a grandi. S’il le pouvait, Adonis ferait disparaitre chaque instant qui a fait de lui ce qu’il est pour ne commencer l’histoire qu’il n’y a peu. Pourtant, à chaque fois qu’il regardait le cadre vide posé à côté de son matelas, il se souvenait qu’il y avait bien, quelque part, une famille ; la sienne. Deux parents obligés de l’aimer et qu’on lui avait ordonné de chérir et un frère. Il avait adoré naître, puis vivre, mais pas auprès d’eux. Souvent, il se disait que les hommes se porteraient mieux s’ils venaient au monde seuls, sans attaches, et avaient le choix des multitudes de connexions qui composent une vie. Bien sûr, dans ses deux premières années, il n’avait pas vraiment vu les choses sous cet angle. Puis alors qu’il était à peine trop grand pour quitter le berceau, on lui avait donné un frère et on lui avait dit de tisser un lien avec.
Adonis n’avait pas voulu de ce lien, ni de cet enfant qui bouffait son espace vitale. Il était parfaitement inconscient de ce qu’il faisait, et pourtant, son comportement à l’égard de cet intrus était déjà brutal. Et puis il y avait cet homme et cette femme qui s’entêtaient à le nourrir trois fois par jour et qui le sermonnaient lorsqu’il voulait manger ce qu’il désirait quand il le voulait. Très vite, aux alentours de ses cinq ans, Adonis avait assimilé ses
parents à deux connexions utiles mais trop oppressantes. Il se souvenait encore de son séjour dans la cave quand il avait fugué, un après-midi de ses six ans. C’était un fermier du coin qui l’avait ramené à ses parents lorsqu’il avait trouvé le gamin caché dans sa grange, à donner des coups de bâtons au chien qui voulait reprendre son territoire.
Découvrir ses pouvoirs, ça, ça avait enfin été libérateur. Du moins, sur le coup. Ses parents, sorciers, avaient aussitôt resserré l’attention et les liens. Adonis avait réagi en maltraitant son frère plus souvent. Et les séances avec le médicomage avaient commencé.
« Tes parents t’aiment. Pourquoi pas toi ?
- Mais ça ne sert à rien… »
Les réponses étaient toujours les mêmes. Adonis, de ses séances, ressortait toujours épuisé, en larmes. Personne ne le comprenait et personne ne comprenait que lui-même était perdu. Il n’avait pas demandé à réagir différemment des autres mais il ne voyait pas pourquoi on l’en empêchait. Sa seule réponse était la violence, encore et on le comprenait encore moins.
A Poudlard, les choses avaient un peu changé. Adonis avait vite grandi et il avait compris qu’il allait devoir surveiller ses pulsions, ses manies… Il avait compris qu’il y avait un moule dans lequel se fondre pour avoir la paix. Son passage à
Serpentard n’avait donc été remarqué que par les élèves plus jeunes sur lesquels il avait réussi à décharger ses envies sadiques. Ses menaces avaient permis de lui assurer un certain secret et il avait évolué sans trop de difficultés. Malgré son diagnostic menaçant, ses parents, mortifiés, avaient gardé le silence. Les séances avec le médicomage s’étaient de toute façon interrompues quand il était arrivé à l’école.
Adonis avait trouvé finalement sa place. Il avait même pu entrer dans l’équipe de Quidditch de sa maison en quatrième année, en tant que batteur. Sans surprise, il avait été tout d’abord excellent à ce poste. Jusqu’à ce que son zèle l’exclut à la fin de sa sixième année. De colère, il avait passé sa frustration sur son frère, dans un coin des cachots. Et pour la première fois, son frère avait répondu. Ce soir-là, Adonis avait fait une croix sur sa famille. Si son frère n’était même plus utile pour se défouler, alors, dans sa logique, il n’avait plus rien à voir avec eux. Logiquement, Adonis n’était pas rentré chez lui aux vacances d’été. Il n’était pas tout à fait majeur mais ses parents n’avaient pas pu le retenir. Et ce n’était pas son frère qui allait les aider. Il le haïssait autant qu’Adonis le trouvait inutile.
« Est-ce que tu n’es jamais triste, de ne pas avoir de famille ?
- Je n’en ai pas besoin, je m'en fou ! Donc aucune raison d’être malheureux ! »
Adonis avait répondu cela à la fille qu’il avait vu cet été-là. Adonis, désormais vagabond, avait savouré son mensonge. Il n’avait plus de famille et c’est ce qu’il raconterait à partir de cet instant. Et les journées auraient pu devenir longues. D’autant plus que cette fille avait cessé de le voir. Il était trop étrange, trop irresponsable, insouciant, pour elle. Quel genre de personne vivait sans se soucier des responsabilités, au jour le jour ? Qui pouvait être aussi insensible ? Heureusement, ses multiples errances l’avaient conduit dans les endroits les plus malfamés qui soient. Mais comme Adonis trouvait toujours de quoi s’amuser en tout, et n’assimilait pas bien le danger, il s’en fichait. Après sa septième année, il avait trainé de plus en plus souvent dans ce bar immonde. Au fond de l’allée des embrumes. C’est là qu’il avait entendu plusieurs fois des hommes et des femmes parler de ce que la loi qualifiait de crimes. Et ils en parlaient librement, en souriant.
Finalement, Adonis avait rejoint ces mangemorts. N’ayant
pas de famille, il restait évasif sur ses origines et avait finalement accepté les sermons ennuyeux sur les différences de sang. Les moldus n’étaient d’aucun intérêt, c’était tout ce qu’il partageait. Il avait attendu patiemment, donc, supportant ces discours sérieux, barbant. Jusqu’à ce que, une nuit, on décide qu’il était temps qu’il suive, malgré son jeune âge. Certains mangemorts avaient, de toute façon, parfaitement reconnu cette lueur folle dans les yeux du garçon, qui brillait lorsque l’on parlait de sang, de blessures, de cris. Et cette nuit-là, il avait jubilé. L’évènement n’avait pourtant pas été d’une violence extrême mais il était resté debout, là, sans broncher, souriant même, quand il s’était fait éclabousser de sang. L’un de ses partenaires, bien plus vieux, l’avait observé longtemps, puis :
« T’es dérangé, gamin.
- Bah... Je voulais juste m’amuser. »